“Je m’en vais…me retrouver”: Quatre Poètes Africains – et une Martiniquaise

Afrofest in Toronto_25th anniversary_July 7th 2013 C_photograph © Elisabeth Springate

Ozoua Soyinka   (Poétesse martiniquaise)

“Afrique, douceur musicale”

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Comment puis-je rester insensible

À la musique de la terre mère,

À la musique de mes racines?

Elle est bienfaisante et mélodieuse

Ses accords sont harmonie et symphonie à mon coeur

Je me sens revivre

Revivre et renaître à la fois.

Je frémis jusqu’au fond de mes tripes,

Je vibre à l’écoute de ses paroles,

Paroles non comprises pourtant.

Elle me parle et me touche profondément

M’apportant quelques instants de bonheur.

Que je n’oublierai jamais.

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“Belle, ô belle africaine”

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Je te vois belle ô belle Africaine

Onduler sous ton pagne

Marchant d’un pas leste

Courant presque

Où vas-tu?

.

Mais où vas-tu donc?

Je m’en vais vers mon village

Le village de mes aïeux

Je m’en vais m’imprégner

De ma culture, de mon histoire.

.

Je m’en vais écouter les anciens

M’instruire de leur savoir et de leur sagesse

Je m’en vais manger le foufou et le foutou

Je m’en vais par les sentiers

Retrouver ce qu’il y a

De plus profond en moi.

Je m’en vais…

Me retrouver.

Afrofest in Toronto_25th anniversary_July 7th 2013 B_photograph © Elisabeth Springate

Thierry Manirambona   (Burundais, né en 1982 au Rwanda)

“De mon tamtam”

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de mon tamtam, je fais la guerre aux fausses couches:

un souvenir abortif d’une bague incolore

qui, pendant des épopées de chagrin,

enfermait prisonnière toute une vie de femme

dans des tourments sans fin:

les fausses couches

des flammes qui s’éteignent à petites flammes

des batailles de mémoires

contre des obsessions immobiles

un essaim longtemps enfermé dans une ruche empoisonnée

un essaim qui s’affranchit et se dresse en totem de délivrance.

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Toussaint Kafarhire Murhula   (né en 1973, République Démocratique du Congo)

“De l’autre côté du mur”

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De l’autre côté du mur,

Mon passé, ma religion, mes dieux!

De l’autre côté du mur

Mon histoire niée; annihilée

Prisonnier du présent,

Bâtard culturel,

Orphelin

.

De l’autre côté  du mur,

Plus des contes chantés

Les saisons immémoriales ont fané

Le mur géant de l’imaginaire accepté

Se dresse infranchissable!

Ceux qui ont tenté de l’escalader

Embrasser de vue l’horizon de la liberté

Sont tous tombés de vertige,

Mort nette,

suicide!

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Le passé noir est un trou béant

Ne regardez plus du côté du mur

Sortilèges et malédictions l’entourent

.

Pourtant de l’autre côté  du mur,

Irresistible attraction des couleurs

Des odeurs et des senteurs sauvages

De l’autre côté du mur

Mon identité niée m’appelle,

Et me rappelle,

C’est aussi l’autre Afrique

Que je dois inventer avec fierté.

Afrofest_25th anniversary July 2013_photo copyright Elisabeth Springate

Viviane Lamarlère   (née en 1956, Côte d’Ivoire)

“Tombée du jour à Yaoundé”

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Quand mon entendre allait

aux patiences du ciel,

fruitées, blanches, qui luttent

je sentais,

de vert en vert emportant les collines

en peur, le temps glisser.

Quelques enfants riaient sous l’odeur encore vive

qui remontait la rue

épices métissées

orages étouffés.

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Toutes proches

des voix baignées dans l’eau de tombe.

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À l’heure dite,

la nuit comme une écharde subite.

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Plus lents alors les bruits,

plus sourds les gestes ouvrant d’ombre

un temple surgi des arbres.

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Paroles étirées

comme des berges sombres

.

Les heures nous renonçaient.

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Amadou Elimane Kane   (Sénégal)

“Cité Africaine de la Renaissance”

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Je songe à la Renaissance

Debout comme un ciel perlé de soleil

Dans l’allée des flamboyants

Frissonnant dans l’espérance

Regardant ces enfants à mes enfants

Si je songe au passé

O mémoire, souviens-toi

Ta lumière arrive

Un nouveau jour va venir

Et ce sera l’espérance

Ô mémoire, souviens-toi

Que j’appartiens

Au continent des flamboyants

De la Renaissance!

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© Tous les droits des auteurs de ces textes sont réservés.

Nous remerciions à ELISABETH SPRINGATE pour ses photographies du festival de la musique panafricaine à Toronto, Canada – Afrofest (7 juillet 2013).

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Poèmes de l’Angola et du Mozambique: Neto, Nogar, Rocha, Tavares et White

 

Agostinho Neto

(1922-1979, Angola)

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Nuit

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Je vis

dans les quartiers sombres du monde

sans lumière et sans vie.

.

Je marche dans les rues

à tâtons

appuyé sur mes rêves vagues

trébuchant sur l’esclavage

dans mon désir d’être.

.

Ce sont des quartiers d’esclaves

des mondes de misère

des quartiers sombres.

.

Où les volontés se sont diluées

et où les hommes se sont confondus

avec les choses.

.

Je marche en tâtonnant

dans les rues sans lumière

inconnues

encombrées de mystique et de terreur

bras dessus bras dessous avec les fantômes.

.

La nuit aussi est sombre.

 

 

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Traduit du portugais par Jean-Michel Massa

 

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Rui Nogar

(1935-1993, Mozambique)

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Altruisme (au nom de Lavoisier)

.

Je veux mourir

en temps voulu

.

avec un cercueil de plomb

des larmes familiales

et un cadavre symétrique

.

mais un prêtre non              mère

prends patience

le ciel que tu me destinais

sera le sol qui m’accueillera

.

et quand personne

ne fera attention

et que le plomb se fatiguera de la géométrie

et que tous me trouveront inutile

.

je retournerai à la terre                    en douceur

et                 de plein gré

de plein gré                           je vous le jure

.

Je rassasierai

des milliers de parasites

.

ceci             pour qu’on ne dise pas

que je n’ai servi à rien.

 

 

.

Traduit du portugais par Marie-Claire Vromans

 

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Jofre Rocha

(né en 1941, Angola)

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Poème du Retour

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Quand je rentrerai du pays de l’exil et du silence,

ne m’apportez pas de fleurs.

.

Apportez-moi plutôt toutes les rosées,

larmes d’aurores qui ont accompagné les drames.

Apportez-moi l’immense faim d’amour

et la plainte des sexes turgescents dans la nuit constellée.

Apportez-moi la longue nuit d’insomnie

des mères pleurant leurs bras vides d’enfants.

.

Quand je rentrerai du pays de l’exil et du silence,

non, ne m’apportez pas de fleurs…

.

Apportez-mois seulement, oh oui,

l’ultime désir des héros tombés à l’aube

une pierre sans ailes dans la main

et un filet de colère s’échappant de leurs yeux.

 

 

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Traduit du portugais par Michel Laban

 

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Paula Tavares

(neé en 1952, Angola)

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“Les choses délicates se traitent avec soin.”

(Philosophie de Cabinda)

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Tu m’as désossée…

.

Tu m’as désossée

soigneusement

m’inscrivant

dans ton univers

comme une blessure

une prothèse parfaite

maudite nécessaire

tu as détourné mes veines

pour qu’elles se vident

dans les tiennes

irrémédiablement

en toi un demi-poumon respire

l’autre, que je sache

existe à peine

.

Aujourd’hui je me suis levée tôt

j’ai enduit de “tacula” * et d’eau froide

mon corps enflammé

je ne battrai pas le beurre

je ne mettrai pas la ceinture

J’IRAI

vers le sud sauter l’enclos.

 

.

“tacula” * – poudre rouge utilisée comme cosmétique

.

Traduit du portugais par Michel Labon

 

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Eduardo White

(né en 1963, Mozambique)

.

Nous sommes vieux.

Je suis vieux, émasculé.

Mais peut-être l’enthousiasme par lequel cet amour

a commencé

n’a-t-il maintenant plus d’importance,

pas plus peut-être que

l’office des corps,

le feu, l’eau, la vigueur;

et l’amour, mis en retraite

de tout cela,

vit maintenant de l’amitié

de ces deux vieux animaux

que nous sommes

si avertis.

.

Ce n’est pas de chanter qu’il vivra,

ni de se donner,

ni d’exister,

mais d’avoir fait

tout cela.

 

 

.

Traduit du portugais par Michel Laban

*

Poèmes d’une anthologie de l’éditeur Bernard Magnier

© les poètes eux-mêmes – ou leurs ayants droit