“Je m’en vais…me retrouver”: Quatre Poètes Africains – et une Martiniquaise
Posted: July 8, 2013 Filed under: French | Tags: Poètes africains Comments Off on “Je m’en vais…me retrouver”: Quatre Poètes Africains – et une MartiniquaiseOzoua Soyinka (Poétesse martiniquaise)
“Afrique, douceur musicale”
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Comment puis-je rester insensible
À la musique de la terre mère,
À la musique de mes racines?
Elle est bienfaisante et mélodieuse
Ses accords sont harmonie et symphonie à mon coeur
Je me sens revivre
Revivre et renaître à la fois.
Je frémis jusqu’au fond de mes tripes,
Je vibre à l’écoute de ses paroles,
Paroles non comprises pourtant.
Elle me parle et me touche profondément
M’apportant quelques instants de bonheur.
Que je n’oublierai jamais.
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“Belle, ô belle africaine”
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Je te vois belle ô belle Africaine
Onduler sous ton pagne
Marchant d’un pas leste
Courant presque
Où vas-tu?
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Mais où vas-tu donc?
Je m’en vais vers mon village
Le village de mes aïeux
Je m’en vais m’imprégner
De ma culture, de mon histoire.
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Je m’en vais écouter les anciens
M’instruire de leur savoir et de leur sagesse
Je m’en vais manger le foufou et le foutou
Je m’en vais par les sentiers
Retrouver ce qu’il y a
De plus profond en moi.
Je m’en vais…
Me retrouver.
Thierry Manirambona (Burundais, né en 1982 au Rwanda)
“De mon tamtam”
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de mon tamtam, je fais la guerre aux fausses couches:
un souvenir abortif d’une bague incolore
qui, pendant des épopées de chagrin,
enfermait prisonnière toute une vie de femme
dans des tourments sans fin:
les fausses couches
des flammes qui s’éteignent à petites flammes
des batailles de mémoires
contre des obsessions immobiles
un essaim longtemps enfermé dans une ruche empoisonnée
un essaim qui s’affranchit et se dresse en totem de délivrance.
. . .
Toussaint Kafarhire Murhula (né en 1973, République Démocratique du Congo)
“De l’autre côté du mur”
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De l’autre côté du mur,
Mon passé, ma religion, mes dieux!
De l’autre côté du mur
Mon histoire niée; annihilée
Prisonnier du présent,
Bâtard culturel,
Orphelin
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De l’autre côté du mur,
Plus des contes chantés
Les saisons immémoriales ont fané
Le mur géant de l’imaginaire accepté
Se dresse infranchissable!
Ceux qui ont tenté de l’escalader
Embrasser de vue l’horizon de la liberté
Sont tous tombés de vertige,
Mort nette,
suicide!
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Le passé noir est un trou béant
Ne regardez plus du côté du mur
Sortilèges et malédictions l’entourent
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Pourtant de l’autre côté du mur,
Irresistible attraction des couleurs
Des odeurs et des senteurs sauvages
De l’autre côté du mur
Mon identité niée m’appelle,
Et me rappelle,
C’est aussi l’autre Afrique
Que je dois inventer avec fierté.
Viviane Lamarlère (née en 1956, Côte d’Ivoire)
“Tombée du jour à Yaoundé”
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Quand mon entendre allait
aux patiences du ciel,
fruitées, blanches, qui luttent
je sentais,
de vert en vert emportant les collines
en peur, le temps glisser.
Quelques enfants riaient sous l’odeur encore vive
qui remontait la rue
épices métissées
orages étouffés.
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Toutes proches
des voix baignées dans l’eau de tombe.
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À l’heure dite,
la nuit comme une écharde subite.
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Plus lents alors les bruits,
plus sourds les gestes ouvrant d’ombre
un temple surgi des arbres.
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Paroles étirées
comme des berges sombres
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Les heures nous renonçaient.
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Amadou Elimane Kane (Sénégal)
“Cité Africaine de la Renaissance”
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Je songe à la Renaissance
Debout comme un ciel perlé de soleil
Dans l’allée des flamboyants
Frissonnant dans l’espérance
Regardant ces enfants à mes enfants
Si je songe au passé
O mémoire, souviens-toi
Ta lumière arrive
Un nouveau jour va venir
Et ce sera l’espérance
Ô mémoire, souviens-toi
Que j’appartiens
Au continent des flamboyants
De la Renaissance!
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© Tous les droits des auteurs de ces textes sont réservés.
Nous remerciions à ELISABETH SPRINGATE pour ses photographies du festival de la musique panafricaine à Toronto, Canada – Afrofest (7 juillet 2013).
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Poèmes de l’Angola et du Mozambique: Neto, Nogar, Rocha, Tavares et White
Posted: October 5, 2012 Filed under: Agostinho Neto, Eduardo White, French, Jofre Rocha, Paula Tavares, Rui Nogar | Tags: Poètes africains Comments Off on Poèmes de l’Angola et du Mozambique: Neto, Nogar, Rocha, Tavares et White
Agostinho Neto
(1922-1979, Angola)
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Nuit
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Je vis
dans les quartiers sombres du monde
sans lumière et sans vie.
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Je marche dans les rues
à tâtons
appuyé sur mes rêves vagues
trébuchant sur l’esclavage
dans mon désir d’être.
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Ce sont des quartiers d’esclaves
des mondes de misère
des quartiers sombres.
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Où les volontés se sont diluées
et où les hommes se sont confondus
avec les choses.
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Je marche en tâtonnant
dans les rues sans lumière
inconnues
encombrées de mystique et de terreur
bras dessus bras dessous avec les fantômes.
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La nuit aussi est sombre.
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Traduit du portugais par Jean-Michel Massa
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Rui Nogar
(1935-1993, Mozambique)
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Altruisme (au nom de Lavoisier)
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Je veux mourir
en temps voulu
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avec un cercueil de plomb
des larmes familiales
et un cadavre symétrique
.
mais un prêtre non mère
prends patience
le ciel que tu me destinais
sera le sol qui m’accueillera
.
et quand personne
ne fera attention
et que le plomb se fatiguera de la géométrie
et que tous me trouveront inutile
.
je retournerai à la terre en douceur
et de plein gré
de plein gré je vous le jure
.
Je rassasierai
des milliers de parasites
.
ceci pour qu’on ne dise pas
que je n’ai servi à rien.
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Traduit du portugais par Marie-Claire Vromans
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Jofre Rocha
(né en 1941, Angola)
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Poème du Retour
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Quand je rentrerai du pays de l’exil et du silence,
ne m’apportez pas de fleurs.
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Apportez-moi plutôt toutes les rosées,
larmes d’aurores qui ont accompagné les drames.
Apportez-moi l’immense faim d’amour
et la plainte des sexes turgescents dans la nuit constellée.
Apportez-moi la longue nuit d’insomnie
des mères pleurant leurs bras vides d’enfants.
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Quand je rentrerai du pays de l’exil et du silence,
non, ne m’apportez pas de fleurs…
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Apportez-mois seulement, oh oui,
l’ultime désir des héros tombés à l’aube
une pierre sans ailes dans la main
et un filet de colère s’échappant de leurs yeux.
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Traduit du portugais par Michel Laban
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Paula Tavares
(neé en 1952, Angola)
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“Les choses délicates se traitent avec soin.”
(Philosophie de Cabinda)
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Tu m’as désossée…
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Tu m’as désossée
soigneusement
m’inscrivant
dans ton univers
comme une blessure
une prothèse parfaite
maudite nécessaire
tu as détourné mes veines
pour qu’elles se vident
dans les tiennes
irrémédiablement
en toi un demi-poumon respire
l’autre, que je sache
existe à peine
.
Aujourd’hui je me suis levée tôt
j’ai enduit de “tacula” * et d’eau froide
mon corps enflammé
je ne battrai pas le beurre
je ne mettrai pas la ceinture
J’IRAI
vers le sud sauter l’enclos.
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“tacula” * – poudre rouge utilisée comme cosmétique
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Traduit du portugais par Michel Labon
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Eduardo White
(né en 1963, Mozambique)
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Nous sommes vieux.
Je suis vieux, émasculé.
Mais peut-être l’enthousiasme par lequel cet amour
a commencé
n’a-t-il maintenant plus d’importance,
pas plus peut-être que
l’office des corps,
le feu, l’eau, la vigueur;
et l’amour, mis en retraite
de tout cela,
vit maintenant de l’amitié
de ces deux vieux animaux
que nous sommes
si avertis.
.
Ce n’est pas de chanter qu’il vivra,
ni de se donner,
ni d’exister,
mais d’avoir fait
tout cela.
.
Traduit du portugais par Michel Laban
*
Poèmes d’une anthologie de l’éditeur Bernard Magnier
© les poètes eux-mêmes – ou leurs ayants droit