” Cette liberté d’écrire est une force étrange! ” : Six poètes du Nigeria

 

John Pepper Bekederemo Clark

(né en 1935)

Abiku*

*(Selon une croyance Yoruba, l’Abiku est

l’enfant qui ne cesse de mourir et renaître.)

.

Tu vas tu viens depuis tant de saisons

Reste donc dehors sur le baobab

Suis où tu veux tes esprits familiers

Si la maison ne peut pas tu suffire.

C’est vrai, elle fuit, le chaume

Laisse passer le flot lorsqu’il déborde

Et les chauves-souris, les chouettes

Souvent la nuit s’engouffrent sous le toit.

Et quand vient l’harmattan les parois de bambou

Sont toutes prêtes pour le feu

Qui sèche le poisson sur les claies.

Elle a été pourtant la réserve salubre

De bien des doigts, et tant d’autres viendront

Tendus vers le soleil.

Cesse donc enfin d’enjamber notre seuil

Entre et demeure pour de bon.

Nous le savons, les cicatrices

Qui te strient le ventre et le dos

Comme par le bec de l’espadon

Et tes deux oreilles marquées

Comme d’un esclave domestique

Sont les traces de tes premiers passages.

Alors entre, entre pour de bon

Car ta mère a le corps fatigué

Fatigué, et le lait a surgi

Où tant de bouches réjouissent le coeur.

 

 

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Traduit de l’anglais par Etienne Galle

 

*

 

Ewi Adebayo Faleti

(né en 1935)

Le Silence du Poète

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Le jour où vous voyez un poète qui se tait

Ne soyez pas fâchés, il parle en son coeur.

Le jour où vous rencontrez un poète qui ne parle pas,

Ne soyez pas fâchés, il parle en son coeur.

Mais qui connaît les pensées du poète?

Qui peut connaître les pensées dans le coeur du sage?

Qui peut connaître le chant au bord des lèvres du chanteur?

L’eau qui n’impressionne pas le fermier,

Peut atteindre le coeur du poète, devenir océan,

Elle peut atteindre le coeur du poète, devenir lagune.

El la tempête qui connaît l’océan et la lagune,

Peut atteindre le coeur du poète

Et devenir brise.

Le coeur du poète accepte la lie,

Et il accepte le limon

Et l’eau claire de la source.

Mais si vous rencontrez un poète

Qui a la tête a l’envers et se tait

Ne soyez pas fâchés, ne dites pas de mal de lui.

En son coeur, le poete parle.

 

 

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Traduit de Yoruba par Michka Sachnine

 

*

 

Onuora Ossie Enekwe

(1942 – 2010)

Avant la Guerre

.

Bêtes de la jungle

aux ongles de feu

surgissant bondissant

morsure et mare de sang

Dans la cité

langues d’acide

visages de flamme

regards de braise

Le poison pullule

au coeur de la nuit

les sorcières et les vautours copulent.

 

.     .     .

 

Après la Guerre

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Dans la sombre cité des morts

par les rues solitaires

les chiens aboient sur les ombres rampantes

Par-dessus la rivière des murmures

le vent hurle ses saluts

Sous un lit

du village désert

un cadavre criblé de balles

mûrit ses os.

 

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Traduit de l’anglais par Etienne Galle

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Dan Anace

Shago

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Le monde est un lieu où on laisse les autres

le monde est la danse des filles

celui qui est devant s’en va derrière

à l’heure du champion il n’y a qu’un champion

à l’heure des uns il n’y en a pas d’autres

un jour, par Allah, un autre jour

ce sera les autres, ce ne sera plus nous

et même si nous sommes là, ce sera sans force

et nous serons assis à côté de l’arène

et nous nous contenterons de crier

ce monde m’est doux aujourd’hui

ce monde un autre jour me sera amer

alors je serai mort ou vieillissant

un jour tu me verras incapable de jouer

les jours passent

Allah mène le jeu

par Allah, un jour, un autre jour

les jours passent, un homme s’en est allé

d’autres jours passent, un homme s’en est allé

et tu entends les proches qui pleurent

et c’est le jour où l’on partage ses biens.

 

 

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Traduit du Haoussa par Etienne Galle

 

*

 

Regina Eziagulu Obakhena

Calamité

.

Tout comme la rosée sur la montagne

Tout comme l’écume sur la lessive

Tout comme l’inondation

Tout comme la tornade

Tout comme les pluies torrentielles

La Véracité s’en est allée

Les humains sont devenus des bêtes dans l’énorme forêt.

 

.     .     .

 

Le Bon Roi

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Le roi te demande de parler

De dire ce qui est bon pour l’oie et pour le jars

La joie du peuple est la probité du roi

Notre roi l’a promis:

“La buse se perchera,

L’aigle se perchera”.

Le village qui aime le roi aime Dieu

Le village qui combat pour le roi combat pour Dieu

Le roi qui aime ses sujets pleure la mort du plébéian.

 

 

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Traduit d’après une traduction anglaise de l’auteur

par Etienne Galle

 

*

 

Onookme Okome

(né en 1960)

Mon coeur a dit des choses

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Cette liberté d’écrire est une étrange force!

Soudain sur une étrange idée suppliant

j’entends s’ouvrir un coeur,

puis choir prudentes les pages réprimées

du coeur,

je vois un peuple perdu dans la contrainte des choses

sans espoir, et je sais:

.

le silence en mon coeur a dit des choses

que je n’ai pas notées au registre sénatorial:

Je me rappelle la dernière saison, nous récoltions

les rires déchaînés dans les granges, maintenant

les poutres sont désertes;  remplies de visages abattus.

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Cette liberté d’écrire est une force étrange!

La légèreté de l’être m’entraîne

en cette folie

qui me laisse libre d’écrire.

 

 

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Traduit de l’anglais par Etienne Galle

 

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Tous les poèmes:  d’une anthologie par Bernard Magnier

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