Poèmes de l’Angola et du Mozambique: Neto, Nogar, Rocha, Tavares et White
Posted: October 5, 2012 Filed under: Agostinho Neto, Eduardo White, French, Jofre Rocha, Paula Tavares, Rui Nogar | Tags: Poètes africains Comments Off on Poèmes de l’Angola et du Mozambique: Neto, Nogar, Rocha, Tavares et White
Agostinho Neto
(1922-1979, Angola)
.
Nuit
.
Je vis
dans les quartiers sombres du monde
sans lumière et sans vie.
.
Je marche dans les rues
à tâtons
appuyé sur mes rêves vagues
trébuchant sur l’esclavage
dans mon désir d’être.
.
Ce sont des quartiers d’esclaves
des mondes de misère
des quartiers sombres.
.
Où les volontés se sont diluées
et où les hommes se sont confondus
avec les choses.
.
Je marche en tâtonnant
dans les rues sans lumière
inconnues
encombrées de mystique et de terreur
bras dessus bras dessous avec les fantômes.
.
La nuit aussi est sombre.
.
Traduit du portugais par Jean-Michel Massa
. . . . .
Rui Nogar
(1935-1993, Mozambique)
.
Altruisme (au nom de Lavoisier)
.
Je veux mourir
en temps voulu
.
avec un cercueil de plomb
des larmes familiales
et un cadavre symétrique
.
mais un prêtre non mère
prends patience
le ciel que tu me destinais
sera le sol qui m’accueillera
.
et quand personne
ne fera attention
et que le plomb se fatiguera de la géométrie
et que tous me trouveront inutile
.
je retournerai à la terre en douceur
et de plein gré
de plein gré je vous le jure
.
Je rassasierai
des milliers de parasites
.
ceci pour qu’on ne dise pas
que je n’ai servi à rien.
.
Traduit du portugais par Marie-Claire Vromans
. . . . .
Jofre Rocha
(né en 1941, Angola)
.
Poème du Retour
.
Quand je rentrerai du pays de l’exil et du silence,
ne m’apportez pas de fleurs.
.
Apportez-moi plutôt toutes les rosées,
larmes d’aurores qui ont accompagné les drames.
Apportez-moi l’immense faim d’amour
et la plainte des sexes turgescents dans la nuit constellée.
Apportez-moi la longue nuit d’insomnie
des mères pleurant leurs bras vides d’enfants.
.
Quand je rentrerai du pays de l’exil et du silence,
non, ne m’apportez pas de fleurs…
.
Apportez-mois seulement, oh oui,
l’ultime désir des héros tombés à l’aube
une pierre sans ailes dans la main
et un filet de colère s’échappant de leurs yeux.
.
Traduit du portugais par Michel Laban
. . . . .
Paula Tavares
(neé en 1952, Angola)
.
“Les choses délicates se traitent avec soin.”
(Philosophie de Cabinda)
.
Tu m’as désossée…
.
Tu m’as désossée
soigneusement
m’inscrivant
dans ton univers
comme une blessure
une prothèse parfaite
maudite nécessaire
tu as détourné mes veines
pour qu’elles se vident
dans les tiennes
irrémédiablement
en toi un demi-poumon respire
l’autre, que je sache
existe à peine
.
Aujourd’hui je me suis levée tôt
j’ai enduit de “tacula” * et d’eau froide
mon corps enflammé
je ne battrai pas le beurre
je ne mettrai pas la ceinture
J’IRAI
vers le sud sauter l’enclos.
.
“tacula” * – poudre rouge utilisée comme cosmétique
.
Traduit du portugais par Michel Labon
. . . . .
Eduardo White
(né en 1963, Mozambique)
.
Nous sommes vieux.
Je suis vieux, émasculé.
Mais peut-être l’enthousiasme par lequel cet amour
a commencé
n’a-t-il maintenant plus d’importance,
pas plus peut-être que
l’office des corps,
le feu, l’eau, la vigueur;
et l’amour, mis en retraite
de tout cela,
vit maintenant de l’amitié
de ces deux vieux animaux
que nous sommes
si avertis.
.
Ce n’est pas de chanter qu’il vivra,
ni de se donner,
ni d’exister,
mais d’avoir fait
tout cela.
.
Traduit du portugais par Michel Laban
*
Poèmes d’une anthologie de l’éditeur Bernard Magnier
© les poètes eux-mêmes – ou leurs ayants droit