Poèmes de l’Angola et du Mozambique: Neto, Nogar, Rocha, Tavares et White

 

Agostinho Neto

(1922-1979, Angola)

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Nuit

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Je vis

dans les quartiers sombres du monde

sans lumière et sans vie.

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Je marche dans les rues

à tâtons

appuyé sur mes rêves vagues

trébuchant sur l’esclavage

dans mon désir d’être.

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Ce sont des quartiers d’esclaves

des mondes de misère

des quartiers sombres.

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Où les volontés se sont diluées

et où les hommes se sont confondus

avec les choses.

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Je marche en tâtonnant

dans les rues sans lumière

inconnues

encombrées de mystique et de terreur

bras dessus bras dessous avec les fantômes.

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La nuit aussi est sombre.

 

 

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Traduit du portugais par Jean-Michel Massa

 

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Rui Nogar

(1935-1993, Mozambique)

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Altruisme (au nom de Lavoisier)

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Je veux mourir

en temps voulu

.

avec un cercueil de plomb

des larmes familiales

et un cadavre symétrique

.

mais un prêtre non              mère

prends patience

le ciel que tu me destinais

sera le sol qui m’accueillera

.

et quand personne

ne fera attention

et que le plomb se fatiguera de la géométrie

et que tous me trouveront inutile

.

je retournerai à la terre                    en douceur

et                 de plein gré

de plein gré                           je vous le jure

.

Je rassasierai

des milliers de parasites

.

ceci             pour qu’on ne dise pas

que je n’ai servi à rien.

 

 

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Traduit du portugais par Marie-Claire Vromans

 

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Jofre Rocha

(né en 1941, Angola)

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Poème du Retour

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Quand je rentrerai du pays de l’exil et du silence,

ne m’apportez pas de fleurs.

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Apportez-moi plutôt toutes les rosées,

larmes d’aurores qui ont accompagné les drames.

Apportez-moi l’immense faim d’amour

et la plainte des sexes turgescents dans la nuit constellée.

Apportez-moi la longue nuit d’insomnie

des mères pleurant leurs bras vides d’enfants.

.

Quand je rentrerai du pays de l’exil et du silence,

non, ne m’apportez pas de fleurs…

.

Apportez-mois seulement, oh oui,

l’ultime désir des héros tombés à l’aube

une pierre sans ailes dans la main

et un filet de colère s’échappant de leurs yeux.

 

 

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Traduit du portugais par Michel Laban

 

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Paula Tavares

(neé en 1952, Angola)

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“Les choses délicates se traitent avec soin.”

(Philosophie de Cabinda)

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Tu m’as désossée…

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Tu m’as désossée

soigneusement

m’inscrivant

dans ton univers

comme une blessure

une prothèse parfaite

maudite nécessaire

tu as détourné mes veines

pour qu’elles se vident

dans les tiennes

irrémédiablement

en toi un demi-poumon respire

l’autre, que je sache

existe à peine

.

Aujourd’hui je me suis levée tôt

j’ai enduit de “tacula” * et d’eau froide

mon corps enflammé

je ne battrai pas le beurre

je ne mettrai pas la ceinture

J’IRAI

vers le sud sauter l’enclos.

 

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“tacula” * – poudre rouge utilisée comme cosmétique

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Traduit du portugais par Michel Labon

 

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Eduardo White

(né en 1963, Mozambique)

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Nous sommes vieux.

Je suis vieux, émasculé.

Mais peut-être l’enthousiasme par lequel cet amour

a commencé

n’a-t-il maintenant plus d’importance,

pas plus peut-être que

l’office des corps,

le feu, l’eau, la vigueur;

et l’amour, mis en retraite

de tout cela,

vit maintenant de l’amitié

de ces deux vieux animaux

que nous sommes

si avertis.

.

Ce n’est pas de chanter qu’il vivra,

ni de se donner,

ni d’exister,

mais d’avoir fait

tout cela.

 

 

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Traduit du portugais par Michel Laban

*

Poèmes d’une anthologie de l’éditeur Bernard Magnier

© les poètes eux-mêmes – ou leurs ayants droit