Navia Magloire: 4 poèmes de la poétesse haïtenne

Canaval des Fleri_A_07_2013

Tournure

Je ne veux plus rêver des hommes
Cheminant le vent des caraïbes
Je préfère imaginer leurs ombres
qui s’aventurent dans le jardin de ma conscience
Je me fais entremetteuse d’un monde connu
et celui de l’ inconnu
Avec eux, je suis ruine déshonorant mes
parterres de parfum, de naturel et de quiddité
Sans eux, je suis fortune d’imagination, de sourire
et de spontanéité
Je ne veux plus penser aux hommes
menaces pandémiques d’une société
asociale
désormais je les invente au coup
d’éclair de ma raison conditionnée
Je me fais paraphrase du réel et de l’irréel
Pour eux, je suis bonne chair, gourmet, désir
Loin d’eux, je suis pensée, divine et immortelle
Je ne veux plus parler des hommes
Je désire les créer dans des fibres d’amour
qui transcende le virtuel et peut-être
qu’un de ces matins apparaîtra l’homme
que j’ai rêvé.

Agapè

Combien j’ai envie de m’abandonner
à la prière amère de mes larmes
car j’habite un corps dont l’amour a déserté
les carrefours dès la jeunesse du matin
Sans amen je cherche l’abri de mon ombre
sans merci il me fuit
j’habite un corps désert
un corps fantôme
un corps liquide
un corps pétrifié
Combien hélas j’ai envie de marcher dans
la mémoire glissante de mes larmes
Car j’habite une ville fumée
depuis la traversée impersonnelle
de mon corps en transit
Sans relâche je furète sa vividité
Sans relâche il se tait
j’habite un corps évaporé
un corps fumant
un corps dilué
un corps périmé
Je suis poussé à voyager
les remous de mes larmes
car je cherche au participe passé
l’Agapè d’un corps inédit.

Canaval des Fleri B_07_2013Canaval des Fleri C_07_2013

Maux d’Eau

Il pleut des rivières dans ma tête
Mon île ne rêve plus
les voix du passé obnubilent son imaginaire

Il pleut des tempêtes dans ma tête
mon île a délaissé son rêve
ses troubadours décriés s’empoissent
dans la gabégie

Il pleut à verses dans ma tête
Mon île a gommé son rêve
les tambours de ses contes s’obstinent
dans l’amnésie

il pleut, il pleut des larmes dans ma tête
mon île ne rêve plus
la cohorte des dieux a déserté l’oraison
de ses rites

il pleut dans ma tête en eau
ses semences chaotiques ont perdu
leur impulsion
mon île est un immense vase
de pleurs
Elle a cessé de rêver, mon île !

Canaval des Fleri D_07_2013

Terre arc en ciel

Le tambour de Dahomay
s’est éteint à Vertières
son roulement subversif
travesti en furie
assassine ma terre Arc-en-ciel
je décèle dans un bourdonnement
un désir de rédemption
mais hélas !
Le tam-tam des Peuls
s’est immobilisé à la Citadelle
son souffle subversif
perverti en folie
dévoye l’esprit de la gente intellect
je découvre dans ce bourdonnement
un refrain de guérison
mais hélas !
Le son des cornes des Nagos
s’est tû à la Crête à Pierrot
son esprit subversif
annihilé par le tribalisme
obscurci la vision futuriste
de ma terre Arc-en-ciel
se dénoue dans ce bourdonnement
une aversion tribale
et
l’avenir se coagule.

Carnaval des Fleri numero 1_juillet 2014Carnaval des Fleri numero 2_juillet 2014

Navia Magloire est née au Cap Haïtien, une commune d’Haïti.  Elle a débuté sa scolarité de l’âge de 2 ans à Saint-Joseph de Cluny où elle a terminé ses études primaires et secondaires classiques.  Elle a complété des études universitaires en science de l’éducation et de psychologie a UJPM (Université Jean Price-Mars).  Durant un séjour aux Etats-Unis d’Amérique, elle a familiarisé elle-même avec la poésie d’Anthony Phelps, et plus tard de Saint-John Kauss, qui est devenue pour elle un exemple à suivre, et qui la pousse à considérer l’écriture comme un exutoire à sa revolte.

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Nos remerciements au site web Potomitan (pour les poèmes), et à CTV-Montréal (pour les photos)

6 photographies du Carnaval des Fleurs, Haïti.  Cette année le Carnaval se déroule du 27 au 29 juillet 2014.