Langston Hughes: poèmes de la Renaissance de Harlem

Portrait de Langston Hughes par Bruce Patrick Jones_graphite et aquarelle_2016

Portrait de Langston Hughes par Bruce Patrick Jones_graphite et aquarelle_2016

Langston Hughes (le 1er février 1902 – mai 1967: poète, écrivain, et dramaturge noir-américain)

Le Nègre parle des fleuves (1921)
(The Negro speaks of rivers)
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J’ai connu des fleuves
J’ai connu des fleuves anciens comme le monde et plus vieux
que le flux du sang humain dans les veines humaines.
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Mon âme est devenue aussi profonde que les fleuves.
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Je me suis baigné dans l’Euphrate quand les aubes étaient neuves.
J’ai bâti ma hutte près du Congo et il a bercé mon sommeil.
J’ai contemplé le Nil et au-dessus j’ai construit les pyramides.
J’ai entendu le chant du Mississipi quand Abe Lincoln descendit
à la Nouvelle-Orléans, et j’ai vu ses nappes boueuses transfigurées
en or au soleil couchant.
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J’ai connu des fleuves:
Fleuves anciens et ténébreux.
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Mon âme est devenue aussi profonde que les fleuves.
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Moi aussi, je chante l’Amérique (1926)
(Epilogue: I, Too)
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Moi aussi, je chante l’Amérique.
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Je suis le frère à la peau sombre.
Ils m’envoient manger à la cuisine
Quand il vient du monde.
Mais je ris,
Et mange bien,
Et prends des forces.
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Demain
Je me mettrai à table
Quand il viendra du monde
Personne n’osera
Me dire
Alors
«Mange à la cuisine».
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De plus, ils verront comme je suis beau
Et ils auront honte…
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Moi aussi, je suis l’Amérique.
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Le Blues du Désespoir (1926)
(The Weary Blues)
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Fredonnant un air syncopé et nonchalant,
Balançant d’avant en arrière avec son chant moelleux,
J’écoutais un Nègre jouer.
En descendant la Lenox Avenue l’autre nuit
A la lueur pâle et maussade d’une vieille lampe à gaz
Il se balançait indolent…
Il se balançait indolent…
Pour jouer cet air, ce Blues du Désespoir.
Avec ses mains d’ébène sur chaque touche d’ivoire
Il amenait son pauvre piano à pleurer sa mélodie.
O Blues !
Se balançant sur son tabouret bancal
Il jouait cet air triste et rugueux comme un fou,
Tendre Blues !
Jailli de l’âme d’un Noir
O Blues !
.
D’une voix profonde au timbre mélancolique
J’écoutais ce Nègre chanter, ce vieux piano pleurer –
« J’n’ai personne en ce monde,
J’n’ai personne à part moi.
J’veux en finir avec les soucis
J’veux mettre mes tracas au rancart. »
Tamp, tamp, tamp ; faisait son pied sur le plancher.
Il joua quelques accords et continua de chanter –
« J’ai le Blues du Désespoir
Rien ne peut me satisfaire.
J’n’aurai plus de joie
Et je voudrais être mort. »
Et tard dans la nuit il fredonnait cet air.
Les étoiles disparurent et la lune à son tour.
Le chanteur s’arrêta de jouer et rentra dormir
Tandis que dans sa tête le Blues du Désespoir résonnait.
Il dormit comme un roc ou comme un homme qui serait mort.

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Nègre (1922) (Negro)

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Je suis un Nègre :
Noir comme la nuit est noire,
Noir comme les profondeurs de mon Afrique.
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J’ai été un esclave :
César m’a dit de tenir ses escaliers propres.
J’ai ciré les bottes de Washington.
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J’ai été ouvrier :
Sous ma main les pyramides se sont dressées.
J’ai fait le mortier du Woolworth Building.
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J’ai été un chanteur :
Tout au long du chemin de l’Afrique à la Géorgie
J’ai porté mes chants de tristesse.
J’ai créé le ragtime.
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Je suis un Nègre :
Les Belges m’ont coupé les mains au Congo.
On me lynche toujours au Mississipi.
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Je suis un Nègre :
Noir comme la nuit est noire
Noir comme les profondeurs de mon Afrique.
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Les poèmes originals, en anglais:

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The Negro Speaks of Rivers
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I’ve known rivers:
I’ve known rivers ancient as the world and older than the
flow of human blood in human veins.
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My soul has grown deep like the rivers.
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I bathed in the Euphrates when dawns were young.
I built my hut near the Congo and it lulled me to sleep.
I looked upon the Nile and raised the pyramids above it.
I heard the singing of the Mississippi when Abe Lincoln
went down to New Orleans, and I’ve seen its muddy
bosom turn all golden in the sunset.
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I’ve known rivers:
Ancient, dusky rivers.
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My soul has grown deep like the rivers.

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Epilogue: I, too
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I, too, sing America.
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I am the darker brother.
They send me to eat in the kitchen
When company comes,
But I laugh,
And eat well,
And grow strong.
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Tomorrow,
I’ll be at the table
When company comes.
Nobody’ll dare
Say to me,
“Eat in the kitchen,”
Then.
.
Besides,
They’ll see how beautiful I am
And be ashamed—
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I, too, am America.
. . .
The Weary Blues
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Droning a drowsy syncopated tune,
Rocking back and forth to a mellow croon,
I heard a Negro play.
Down on Lenox Avenue the other night
By the pale dull pallor of an old gas light
He did a lazy sway . . .
He did a lazy sway . . .
To the tune o’ those Weary Blues.
With his ebony hands on each ivory key
He made that poor piano moan with melody.
O Blues!
Swaying to and fro on his rickety stool
He played that sad raggy tune like a musical fool.
Sweet Blues!
Coming from a black man’s soul.
O Blues!
In a deep song voice with a melancholy tone
I heard that Negro sing, that old piano moan—
“Ain’t got nobody in all this world,
Ain’t got nobody but ma self.
I’s gwine to quit ma frownin’
And put ma troubles on the shelf.”
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Thump, thump, thump, went his foot on the floor.
He played a few chords then he sang some more—
“I got the Weary Blues
And I can’t be satisfied.
Got the Weary Blues
And can’t be satisfied—
I ain’t happy no mo’
And I wish that I had died.”
And far into the night he crooned that tune.
The stars went out and so did the moon.
The singer stopped playing and went to bed
While the Weary Blues echoed through his head.
He slept like a rock or a man that’s dead.
. . .
Negro
.
I am a Negro:
Black as the night is black,
Black like the depths of my Africa.
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I’ve been a slave:
Caesar told me to keep his door-steps clean.
I brushed the boots of Washington.
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I’ve been a worker:
Under my hand the pyramids arose.
I made mortar for the Woolworth Building.
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I’ve been a singer:
All the way from Africa to Georgia
I carried my sorrow songs.
I made ragtime.
.
I’ve been a victim:
The Belgians cut off my hands in the Congo.
They lynch me still in Mississippi.
.
I am a Negro:
Black as the night is black,
Black like the depths of my Africa.

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