Nous connaissons le secret de la petite épinette / We know the secret of the little spruce: poèmes d’une Aînée Crie / poems of a Cree Elder

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Margaret Sam-Cromarty (née à l’île Fort George, La baie James, Québec, 1936)

“Un étranger très élégant”

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Un jour, dans un village nordique,

tout le monde se préparait

en vue du départ

pour la chasse printanière.

Vers le début de la soirée,

les enfants en train de jouer ont commencé à crier:

“Nous voyons venir un étranger.

Il est bien habillé.”

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En effet, l’étranger était saisissant.

Personne ne semblait le connaître.

Les jeunes filles tournaient autour de lui…

les mouches aussi.

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On l’invita à l’intérieur de la tente.

La chaleur du feu de camp

mit l’étranger mal à l’aise.

Tout le monde se demandait pourquoi.

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Souriant aux jeunes filles,

il sortit prendre l’air.

Une mauvaise odeur flottait derrière lui

et les mouches lui bourdonnaient tout autour.

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Les jeunes filles voulaient qu’il reste

mais il est parti comme il était venu.

Bientôt il disparut,

laissant les jeunes filles à leur tristesse.

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L’une d’entre elles suivit ses traces

qui la menèrent à un tas de fumier.

La chaleur avait fait fondre l’étranger.

Les mouches bourdonnaient et chantaient:

“Merde et vielles guenilles,

merde et vielles guenilles,

s’étaient changées en homme!”

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“The Handsome Stranger”

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Once in a northern village

people were making ready

to move away

for the spring hunt.

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Now it was towards evening

when children at play began to shout

“We see a stranger coming.

He is smartly dressed.”

Indeed the stranger was striking.

No one seemed to know him.

The young girls hung around him.

So did the flies.

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He was invited inside the tent.

The heat from the campfire

made the stranger uncomfortable.

Everyone wondered why.

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Smiling at the girls

he went outside for the air.

The stranger left a wave of smell

and buzzing flies behind.

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The young girls wanted him to stay

but he left the way he came.

Soon he disappeared,

leaving the girls sad.

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One of them followed his tracks

until they led to manure.

He had melted from the heat.

Flies buzzing around sang:

“Shit and old rags,

shit and old rags,

turned himself into a man.”

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“Un garçon”

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Des cheveux noirs comme du jais

qu’il avait de naissance,

Des yeux noirs

qui brillaient d’un amour chaleureux.

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De mains fines,

de bonnes mains de musicien.

Ce garçon a découvert

que grandir était douloureux.

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Il préférait attraper des grenouilles,

taquiner sa soeur,

serrer ses bras

autour de sa mère.

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Il a grandi,

aussi grand qu’un arbre.

Une personne gentille,

ce garçon qui est le mien!

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“Boy”

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His jet black hair

he had from birth

His dark eyes

flashed loving warmth

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His fine shaped hands

right for a musician

This boy who found

Growing up a pain

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He’d rather catch frogs

tease his sister

Throw his arms

around his mother

.

He has grown

tall as a tree

A gentle person

this boy of mine

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“Une fille”

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Une fille aux yeux noirs et brillants,

au sourire doux et timide,

à la peau fine cuivrée,

qui n’a pas besoin du soleil d’été.

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Elle avait

de longs cheveux d’ébène.

Plusieurs étaient d’accord:

elle était belle.

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C’était le vent.

C’était le ciel.

C’était ma fille…

Mary.

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“Girl”

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A girl her dark eyes bright

Her smile shy and sweet

Her fine copper skin

needs no summer sun

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She was blessed

with long raven hair

many agreed

she was fair

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She was wind

She was sky

She was my daughter

Mary

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“Maman”

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Une mère

passe à travers

les rejets, les dépressions,

la solitude et les critiques.

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C’est une femme courageuse

douée d’un humour fin.

Une créature qu’on appelle

Maman.

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“Mother”

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A mother

goes through

rejections, depressions

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Loneliness and criticism

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A courageous woman

with gentle humour,

a creature known as

Mother

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“Maris et Femmes”

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Le mari est le ciel

et la femme le nuage.

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Parfois le ciel

apporte le vent

et le nuage une pluie rafraîchissante.

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Parfois les nuages

se regroupent

et apportent orages et vents.

Maris et femmes font de même.

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Maris et femmes dérivent séparément

comme les nuages le font parfois.

Mais au milieu de nuages gris,

jaillit le ciel bleu clair.

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Comme les nuages se rassemblent

pour former le temps,

ainsi font maris et femmes

pour mener leurs vies.

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Les anneaux autour du soleil

nous rappellent le mauvais temps.

Les anneaux du mari et de la femme

scellent un amour infini.

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“Husbands and Wives”

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Husband is the sky

a wife the cloud

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Sometimes the sky

brings wind,

the cloud a refreshing rain

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Sometimes the clouds

form to gather

It brings storms and winds

Husbands and wives do the same

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Husbands and wives drift apart

like clouds sometimes do

But between the greyish clouds

burst bright blue skies

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As the clouds come to gather

to create our weather

So do husbands and wives

carry on with their lives

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The rings around the sun

remind us of bad weather

The rings of husbands and wives

shield a love forever

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“La gentillesse”

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La gentillesse, c’est faire cuire de la banic,

mélanger la farine et la levure.

Il faut y mettre de l’eau.

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Pour faire une bonne banic,

on y ajoute de l’huile.

Dans nos vies,

on a besoin de la gentillesse.

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La gentillesse est comme les graines.

Beaucoup se perdent.

Pas de graine,

Pas de gentillesse.

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“Kindness”

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Kindness is baking bannock

blending flour, baking powder

It’s natural to put water

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A good bannock

oil is added

In our lives

kindness is needed

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Kindness is like grain

many are lost

without grain

without kindness

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“La Paix”

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Trouvez la paix dans le silence,

le silence qui règne ici.

Le vent froid

purifie la terre.

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La splendeur.

Il n’y a pas de terreur.

Des tiges de plantes séchées se tiennent

bien droites.

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Écoutez le vent impétueux.

Regardez les sentiers blancs, les grands cercles,

la rivière tranquille,

le ciel, bon et puissant.

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“Peace”

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Find peace in silence

Silence it reigns here

The cold wind

Purifies the land

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The splendour

There is no terror

Stalks of dried plants stand

upright

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Hear the rushing wind

See the white paths, the wide circles

A quiet river,

the sky, bold and good.

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Quelques pensées de la poétesse:

Mon père et ma mère étaient des Cris.  Ils vivaient à la baie James.  C’est là que je suis née, dans le village de l’île Fort George, où la rivière La Grande se jette dans la baie James.  J’ai appris à parler et à écrire l’anglais.  Les Cris sont des chasseurs et des trappeurs…Nous comprenons les animaux et les oiseaux…Nous connaissons le secret de la petite épinette…Et nous écoutons nos frères et soeurs comme nos Aînés nous l’ont enseigné…  (Maintenant) nous vivons à Chisasibi… Et c’est aussi là que grandissent nos petits-enfants…  Dans ma mémoire vibre encore le village de Fort George, un village qui n’a pas été inondé ni abandonné et qui est plein de Cris joyeux.  C’est de cette façon que je veux me rappeler l’île de Fort George…

Some thoughts from the poet:

My father and mother were Cree.  Their home was James Bay in Northern Québec.  This is where I was born, at a Cree village of Fort George Island, where the La Grande River empties into James Bay.  I was taught to speak and write English.  My people, the Crees, are hunters and trappers… We understand the animals and birds… We know the secret of the little spruce… And we hear our brothers and sisters the way our Elders taught us…  (We) now live in a town called Chisasibi… Our grandchildren are growing up in Chisasibi…  In my memory stands a Cree village of Fort George not flooded or abandoned but full of happy Crees… It’s the way I would like to remember Fort George Island…

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Editor’s note:  Chisasibi or  ᒋᓴᓯᐱ  in Cree syllabics (meaning Great River) is a town created by the Québec government to relocate Crees who were forced from their James Bay watershed lands (including Fort George Island) because of damming/redirecting of tributary rivers flowing into the La Grande River as part of Hydro-Québec’s James Bay Project which began in the 1970s and continues into the present day.

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